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Le jeûne de Ramadan, un bilan

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Le jeûne du mois de Ramadan est un moment offert par Allah, un mois particulier qui dévoile des saveurs particulières, l’occasion d’un bilan. Il est une opportunité que nous devons préparer et même accueillir comme on accueille un hôte.

Comme le dit le Prophète (s) :

«Certes Allah s’est imposé de vous offrir des cadeaux dans votre calendrier humain. Accueillez ces jours car il se peut que vous puissiez bénéficier de ce que recèlent ces cadeaux. Celui qui en bénéficiera ne connaîtra plus jamais la tristesse oppressante.»

Malheureusement, nous préparons souvent le mois de Ramadan en remplissant nos frigos, en écrivant de longs programmes théoriques ou en adaptant nos dosages de café pour éviter les maux de tête.

Si vous accueillez un hôte honorable mais que vous le savez diabétique, vous ne lui présentez pas des séries de gâteaux et de bonbons! On accueille le jeûne de Ramadan en oubliant qu’il est le mois de l’abstinence, de la résistance et du Coran.

Ce mois est en réalité celui du bilan personnel mais encore faut-il se souvenir des éléments de bilan que nous devons évaluer afin de ne pas se tromper d’examen. Celui qui prépare un test d’endurance aura beau calculer par des équations la distance, il ne se préparera jamais aussi bien que celui qui a compris qu’il devait exercer son endurance

Revenons donc aux enseignements que devraient nous permettre d’évaluer le mois de Ramadan en repartant de la série de versets qui aborde la question du jeûne dans le Coran.

Il est d’ailleurs paradoxal de s’arrêter sur l’unique objectif de Taqwa alors que la série est longue et pleine d’enseignements. Allah n’a énoncé qu’un seul passage nous imposant le jeûne de Ramadan, alors qu’une multitude est présente dans le Coran au sujet de la prière. Une seule fois aura suffi à ce que la communauté musulmane applique très généralement le jeûne de Ramadan. Mais le passage est long et donne des clefs…

Le passage encadrant les versets du jeûne du Ramadan :

Le verset central de sourate Al-Baqara (142) fait référence au changement de Qibla de Jérusalem vers La Mecque. Il marque également un tournant dans la sourate puisque le début de sourate Al-Baqara nous raconte l’histoire des communautés précédentes afin de nous aider à prendre conscience de leurs luttes mais aussi de leurs déviances.

A partir de ce verset central, Allah nous enseigne les règles préservatrices que nous devrions suivre afin de poursuivre la voie du bien. Mais Allah nous apprend également à évaluer ce qu’est réellement le bien au-delà des apparences.

La série de versets sur le jeûne est un des cinq éléments qui nous permet d’évaluer si les règles de vie que nous adoptons sont réellement une traduction du bien.

• La première traduction est la loi du talion qui incarne la notion de justice mais surtout la notion de tierce entité dans les sociétés. Aujourd’hui, nous pouvons observer des riverains ou même des voisins se disputer en nous cachant derrière un rideau sans même intervenir. Alors que la première traduction du bien est l’altruisme qui devrait nous pousser à nous soucier de la justice sociale dans nos cités.

• La seconde traduction du bien est tournée vers la famille et elle se manifeste par le souci de réaliser un juste testament afin de répartir honnêtement les biens matériels du foyer entre les héritiers. Le bien ne consiste donc pas à se préoccuper des autres en négligeant ses proches, au contraire. Et si dans le cas de la société, la manifestation du bien se réalisait par l’empêchement des injustices et oppressions, nous apprenons que dans le cadre familial, cela se manifeste par un juste partage des richesses familiales.

• La troisième traduction est donc le jeûne de Ramadan qui symbolise la résistance contre ses passions. C’est donc la justice vis à vis de soi-même. Et cela se manifeste par l’abstinence de moyens mondains afin d’apprendre à se nourrir également de moyens invisibles ou spirituels. Dans la continuité des versets sur le jeûne, nous trouvons le verset 188 qui nous apprend le scrupule dans les affaires sociales. Ainsi la résistance de cœur, l’équilibre familiale et la justice sociale sont reliés et se nourrissent mutuellement.

• La quatrième traduction est dans le rapport au temps qui devrait être animé par des moments éveillant nos consciences. L’injustice à l’égard du temps se manifeste dans le fait de suivre des phénomènes de modes stupidement, sans les interroger, sans les éclairer par un regard conscient.

• La cinquième traduction est dans la lutte sans excès, pour des valeurs qui dépassent les considérations matérielles. Aujourd’hui, nous sommes enfermés entre d’une part des approches guerrières de l’islam qui promeuvent une lutte qui n’a rien à envier aux guerres promues par les occidentaux car elles se vivent dans l’excès et sont souvent animées par la soif de territoires et de capitaux. Et d’autre part, des discours ultra-pacifistes qui délégitiment toute forme de résistance et de désobéissance civile face à un système injuste. L’islam propose pourtant un juste équilibre à la notion de lutte social.

De cette série de versets, nous pouvons déjà tirer un premier enseignement. Le Ramadan est en réalité le moment de bilan intime qui permet d’évaluer l’état de notre âme afin de voir pourquoi nous parvenons ou nous ne parvenons pas à œuvrer pour la justice social, l’équilibre matériel au niveau familial et une organisation du temps autour de moment de conscience qui sont les traductions fondamentales du bien.

Il est donc nécessaire avant l’entrée du mois de Ramadan de tirer un bilan sur ces différents aspects de nos vies en se posant des questions basiques, tel que :

• Quelle part apportons-nous aux relations saines de voisinage ?

• Comment contribuons-nous à lutter contre les injustices sociales dans nos villes, écoles de quartiers, travails, etc ?

• Quels sont les temps réguliers que nous consacrons à éveiller nos consciences afin de mieux comprendre le monde et mieux servir la cause du message de l’islam ?

Le jeûne est d’ailleurs l’école qui permet d’apprendre à ressentir la faim à l’image des plus démunis.

L’objectif de taqwa :

La question de la taqwa (ou la conscience vigilante, qui pousse à se mettre en action et à se préserver) est centrale dans le Coran et particulièrement dans sourate Al-Baqara qui commence par nous rappeler que « C’est le Livre au sujet duquel, il n’existe aucun doute. Il s’y trouve une guidée pour ceux qui appliquent la Taqwa. »

Le verset (177) qui précèdent la série précédemment évoquée fait également référence à ceux qui appliquent la Taqwa. Allah les décrit comme étant ceux qui sont la traduction du bien puisqu’ils ont conscience du monde invisible (les anges, le paradis, l’enfer, etc), qu’ils œuvrent à soutenir les plus démunis et qu’ils entretiennent le lien avec Allah dans la constance.

Finalement la série de questions précédemment proposées n’est qu’une porte ouverte vers la démarche de prise de conscience active et poussant à la vigilance.

D’ailleurs comme l’enseigne le prophète (s) « Celui qui ne délaisse pas la tromperie et le mensonge, Allah n’a pas besoin qu’il délaisse sa nourriture et sa boisson » (Tabarani). Cela signifie clairement que le jeûne a vocation à nous éclairer sur nos comportements et les intentions qui animent nos actes. En effet, la tromperie et le mensonge sont souvent le fruit d’une passion pour des objectifs mondains.

La première série de question était assez pragmatiques (comment ? quelle part ? quel temps ?), alors qu’à ce stade, nous découvrons qu’il est aussi important de s’interroger sur le pourquoi. Pourquoi agissons nous de telle ou telle manière ?

Mais cette démarche n’est pas si aisée et ce n’est pas un hasard qu’Allah mentionne les peuples précédents dans ce verset (183), ni que le verset suivant (184) fut révélé selon un grand nombre de commentateurs comme étant une première phase d’obligation du jeûne avant l’obligation du Ramadan qui n’intervint qu’en l’an 2 après l’Hégire. Cette première phase d’obligation aurait été révélée selon certains commentateurs, suite à des échanges entre le Prophète (s) et les juifs de Médine.

Or il est important de se souvenir que tout le début de sourate Al-Baqara explique pourquoi les peuples précédents ont agi de telle ou telle manière. Renouer avec l’histoire est une des clefs nous aidant à mieux comprendre pourquoi nous agissons en bien ou en mal. Ce retour vers l’histoire peut être le fruit d’un moment de bilan personnel qu’il est important de réaliser dès le début du mois, au moment où des portes s’ouvrent dans le monde invisible. Alors que beaucoup s’interrogent comment faire passer le temps des longues journées, Allah nous apprend que ce temps est précieux car il facilite l’assainissement de notre monde intérieur.

Mais l’étude du début de sourate Al-Baqara et la méditation de ces versets peut être un bon parallèle avec nos vies afin d’interroger les raisons de nos sagesses et déviances.

L’école de la reconnaissance :

Le verset 185 propose un autre objectif au jeûne. En réalité, il en propose trois :

« Afin que vous complétiez le décompte, Que vous proclamiez la grandeur d’Allah car Il vous a guidé et peut être que vous parviendrez à être reconnaissant. »

Sourate 2 V. 185

En réalité les deux premiers objectifs conduisent au troisième. La reconnaissance n’est autre que la reconnaissance de la Toute-puissance divine qui administre nos vies et cela ne s’évalue que par la grille du temps que nos membres mais aussi nos cœurs consacrent à Allah.

Il y a bien entendu une évaluation bien plus profonde qui dépasse le critère du temps et des calculs mais il faut savoir se limiter à observer l’observable et laisser à Allah ce que nous ne pouvons discerner y compris en nous-même.

Il ne faut donc pas se juger mais juste s’observer et surtout observer la manifestation divine dans nos vies et tenter d’évaluer la qualité de notre reconnaissance.

Cette question englobe un champ tellement vaste qu’elle parait presque inaccessible même à supposer. Pourtant Allah nous offre au début du verset deux clefs. La première est la Coran (la guidée et le discernement) et la seconde est l’observation de la lune (mais plus largement de la création en réalité).

Autrement dit, il est nécessaire avec l’entrée de ce mois de prendre un pas de recul et observer plus globalement afin d’identifier avec plus de précision. Ceci à l’image de celui qui observe le ciel la nuit de la nouvelle lune. Il observe l’immensité à la recherche d’un fil minuscule.

Et il faut apprendre à procéder de la même manière avec le Coran. Lire avec un objectif de compréhension globale mais savoir s’arrêter sur le verset qui nous bouscule.

Toutefois nous avons délaissé la relation avec le Coran comparativement aux premières générations et nous sommes cloisonnés dans des cités bétonnées, derrière des écrans à longueur de journée. Le bilan du mois de Ramadan n’est pas un mois où on débite les lignes de Coran pour se donner bonne conscience et refermer le livre une fois le mois fini.

Bien entendu, il faut profiter des bénédictions de ce mois pour lire La Parole d’Allah. Mais il faut surtout profiter de ce mois pour replacer le Coran au centre de nos vies et trouver un rythme qui nous sorte de la cadence infernale des écrans artificiels.

En effet, ce n’est qu’en parvenant à observer à nouveau la création et à méditer régulièrement le Coran que nous pourrons interroger les dons dans nos vies sainement et ainsi être reconnaissant en cherchant à servir Le Créateur.

Les versets suivants sont davantage une école pour l’après Ramadan. Si Allah l’accorde, j’y reviendrai avec un autre texte inshaAllah.

En résumé :

Mais en résumé pour cette première partie et pour répondre à la question de comment réaliser ce bilan personnel, il me semble qu’il existe plusieurs choses très concrètes que l’on peut évaluer :

• Avant l’entrée du mois : Evaluer nos comportements sociaux et familiaux sous l’angle de la justice sociale et de notre présence dans les luttes pour les causes justes qu’Allah aime. Mais aussi évaluer le rythme de nos journées et les temps que nous consacrons aux moments de prise de conscience (prière, Halaqa, cours, lecture, etc)

• Pour cela, il suffit simplement de prendre des moments personnels de bilan mais aussi et surtout des moments d’échanges avec la famille et/ou les proches pour tirer un bilan plus objectif

• Dès le début du mois : Interroger nos intentions mais tout en sachant que nous n’aurons jamais de réponse évidente au pourquoi. C’est pour cette raison que c’est le cœur qui doit interroger le pourquoi.

• Très concrètement, cela peut se traduire par la méditation de versets qui nous interpellent sur nos vies (pensez au début de Baqara) ou simplement prier la nuit ou étudier des récits historiques qui bousculent nos cœurs par rapport à nos modes de vie moderne.

• Puis progressivement au cours du mois, le bilan ne doit pas conduire à une autoflagellation sur nos incapacités mais au contraire sur la prise de conscience de la générosité divine. Un bilan réussi est un bilan qui décentre l’humain (et donc nous) de la problématique en recentrant nos préoccupations autour d’Allah.

• Pour cela, il faut renouer avec les signes d’Allah et réapprendre à les lire avec la raison et le cœur en observant la création plus régulièrement y compris les nuits de Ramadan et en ayant différentes lectures du Coran. Il faut certes une lecture quantitative mais aussi une lecture qui vise à comprendre plus globalement même ne serait-ce qu’une sourate dans le mois mais aussi une lecture qui permettra à peine de méditer en profondeur peut-être un seul verset dans le mois.

Allah est plus savant et inshaAllah nous continuerons sur la suite des versets. Mais ce long texte ne remplacera jamais l’intuition du bon sens qu’Allah place dans les cœurs. C’est pourquoi je vous demande de ne pas m’oublier dans vos douhas à l’approche de ce mois et au cours de ce mois.

Qu’Allah nous fasse parvenir avec foi à Ramadan, qu’Il nous accorde les bénédictions et la guidée de Ramadan et qu’Il nous accorde Son Pardon complet en ce mois béni.

Fethallah Otmani